Amanda Gorman est en passe de devenir l'icône de la "nouvelle Amérique", celle de l'après-Trump. Sa prestation lors de la cérémonie d'investiture de Joe Biden a marqué les esprits. Des mots qui percutent, un ton à la Martin Luther King, le sourire malicieux et une force de conviction ancrée au corps, la voilà maintenant en couverture du Time magazine ou déclamant ses vers au Superbowl.
Avec "The Hill we climb" ("La colline que nous gravissons"), le poème déclamé avec passion à la tribune depuis le sommet de la colline du Capitole le 20 janvier dernier, la jeune Amanda Gorman a quelque peu volé la vedette au 46e président des Etats-Unis. Beaucoup y ont entendu les accents hérités d'un texte emblématique de la lutte du peuple afro-américain pour sa liberté, l'historique "I have a dream"du pasteur Martin Luther King.
Consécration s'il en est, la voilà maintenant en couverture du Time pour une entrevue réalisée par l’ancienne première dame Michelle Obama, rien de moins ! Les deux femmes y discutent, entre autres, de la « renaissance artistique noire » à travers le rôle de l’art dans l’activisme comme de la pression que les femmes noires subissent lorsque les projecteurs sont braqués sur elles.
Je ne suis pas la foudre que frappe une fois. Je suis l'ouragan qui survient chaque année, et vous pouvez vous attendre à me revoir bientôt. Amanda Gorman à Michelle Obama
Le portrait d’Amanda Gorman qui orne la couverture du magazine a été réalisé par l’artiste conceptuel américain d’origine éthiopienne Awol Erizku. Clin d'oeil à l'histoire, la jeune femme y prend une pose style Renaissance...
Son nom avait été soufflé aux organisateurs de la cérémonie par Jill Biden, l'épouse du président, qui avait assisté à une de ses lectures. Leur commande, passée en décembre : une ode à l'"Amérique unie", en écho au discours du futur président démocrate. Elle n'a rédigé que la moitié du texte quand des partisans de Donald Trump envahissent le Capitole, le 6 janvier. Horrifiée, choquée, c'est d'une seule traite qu'elle écrit la fin de son poème.
"Je me suis dit : 'c'est quelque chose dont on doit parler'", a-t-elle expliqué à la radio publique NPR (en anglais).
Une fille noire, maigre, descendante d’esclaves, élevée par une mère célibataire", qui se retrouve "à réciter" devant un président. Amanda Gorman
"Nous ne sommes pas une Nation brisée, seulement une Nation pas finie, lance-t-elle. Son texte évoque "une force qui va briser notre Nation, plutôt que la partager"... "Cet effort a presque abouti, mais si la démocratie peut-être par instant retardée, elle ne peut pas être définitivement supprimée", promet-elle. La jeune femme se décrit comme "une fille noire, maigre, descendante d’esclaves, élevée par une mère célibataire", qui se retrouve "à réciter" devant un président. "Pendant que nous portons notre regard sur le futur, l'histoire nous regarde.", ajoute-t-elle encore.
Avant elle, cinq autres poètes, dont Robert Frost et Maya Angelou, ont participé aux cérémonies d'investiture de présidents américains, mais aucun n'était aussi jeune - elle n'a que 22 ans.
Originaire de Los Angeles, Amanda est élevée par une mère célibataire. Petite, elle souffre de bégaiement - comme le 46e président - ce qui l'a encouragée à se tourner vers l'écriture. Si elle devait rédiger elle-même son portrait, elle ajouterait sans doute qu’elle était une "enfant bizarre", hypersensible aux sons, souffrant d’un trouble auditif, et de problèmes d’élocution.
Un point commun qu'elle partage aussi avec Anderson Cooper, un des journalistes phares de CNN, qui n’a pas pu cacher son admiration lors d’une interview. Il lâche un "Wow, vous êtes juste… vous êtes géniale. Je suis subjugué !" "Je suis fière de me retrouver dans le club des difficultés d’élocution avec vous et le président Biden, ainsi qu’avec Maya Angelou", lui répond la jeune poétesse. Si Joe Biden était bègue, son problème à elle était de buter sur certaines lettres, comme les "r". Elle explique avoir notamment réussi à surmonter ce problème grâce à Aaron Burr, Sir, une chanson à succès de la comédie musicale Hamilton.
Enfant prodige, elle remporte son premier prix de poésie à 16 ans. Elle est couronnée du titre de "meilleur jeune poète" du pays trois ans plus tard, alors qu'elle étudie la sociologie à la prestigieuse université Harvard.
En 2017, c’est elle qui ouvre la saison littéraire de la Bibliothèque du Congrès. Elle incarne cette nouvelle génération d’auteurs-trices engagée-s. Certains la voient comme la digne héritière de la défunte écrivaine et activiste Maya Angelou, poétesse de la cérémonie d’investiture de Bill Clinton en 1993. Pour se préparer à ce 20 janvier 2021, la jeune femme avait lu tous les poèmes de précédentes cérémonies d’investiture, ainsi que des discours d’Abraham Lincoln ou de Frederick Douglas, leader du mouvement abolitionniste.
La jeune Californienne est une militante rebelle, avec la douceur et la détermination pour principales armes, comme, d’ailleurs, sa sœur jumelle, Gabrielle, réalisatrice. Son inspiration, elle la trouve surtout dans les questions de races, d’oppression, de discriminations, de féminisme, et d’environnement aussi. Après la publication d’un premier recueil de poésie, elle fonde en 2016 une ONG, One Pen One page, programme d’écriture pour les jeunes.
Amanda Gorman était inconnue du monde il y a encore quelques semaines. La voilà propulsée en un rien de temps nouvelle icône américaine de 2021.
Trois de ses ouvrages - un recueil de poèmes, un livre pour enfants et une édition spéciale des vers déclamés pour le nouveau président américain - sont en tête des ventes de livres sur Amazon depuis le 20 janvier. Pourtant aucun n'est encore publié : ils ne sortiront qu'en avril, voire en septembre pour Change Sings, des odes illustrées pour les plus jeunes. Ce qui n'a pas empêché les acheteurs de les précommander en masse, si bien que la jeune artiste et militante dépasse désormais Barack Obama, dont les mémoires, Une Terre promise, sont classées en 5e position dans cette liste des meilleures ventes.
L'ancien président lui-même se dit impressionné par la jeune femme de 22 ans. Elle "a fait plus qu'incarner le moment. Les jeunes gens comme elle sont la preuve qu'il y a toujours de la lumière, si nous sommes assez courageux pour la voir. Si nous sommes assez courageux pour être cette lumière", a-t-il tweeté en lui empruntant ses vers.
La star de la télévision Oprah Winfrey salue la prestation d'Amanda et c'est d'ailleurs elle qui lui avait offert des bijoux pour cette occasion solennelle, comme elle avait offert un manteau à Maya Angelou lors de la prestation de Bill Clinton. L'ex-candidate démocrate à la présidentielle Hillary Clinton et même la Nobel de la Paix pakistanaise Malala ont également félicité la jeune poétesse.
Croulant sous les sollicitations médiatiques, Amanda Gorman a mis en ébullition les réseaux sociaux – elle a attiré deux millions de nouveaux abonnés en une seule journée sur son compte Instagram – et plus d'un million sur Twitter. Ses vers ont été mis en musique par le musicien Rostam Batmanglij. Son image apparaît même sur des pâtisseries ! Elle est aussi la première poète à s'exprimer lors du Super Bowl.
Que faire de ce succès soudain ? Elle-même s’en étonne, le sourire malicieux aux lèvres quand les journalistes l'interrogent sur ce point
D'Hillary Clinton à la célèbre présentatrice de télévision Ellen De Generes, toutes deux se disent prêtes à soutenir sa candidature à la présidentielle en 2036 (aux Etats-Unis, l’âge minimum pour prétendre à la Maison-Blanche est de 35 ans, ndlr).
Cela lui laisse donc une quinzaine d'années pour gravir quelques marches encore afin de retrouver le sommet de la colline...
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